C'est parce qu'elle était née par un chaud matin d'été que ses parents l'avaient prénommée Hestivale. Rien de bien étonnant dans ce prénom. Ni rien de remarquable concernant sa naissance !
Ses parents étaient des gens simples, qui s'aimaient et vivaient une vie heureuse au fond d'une forêt. Le choix du lieu n'avait rien de particulier non plus : son père était bûcheron, sa mère était bûcheronne, il était donc simplement plus pratique pour eux d'habiter près de leur lieu de travail... sur leur lieu de travail en fait.
Et c'est donc tout naturellement qu'Hestivale avait embrassé la même profession. Par chance, elle était aussi forte que ses parents et abattait seule une grande partie de la tâche (et de la forêt), tâche qui occupait ses journées, et elle s'y adonnait avec joie.
Certains pourraient s'imaginer que notre Iopette était malheureuse de son sort, qu'elle devait penser que ce travail était trop dur, trop abrutissant, qu'il ne lui laissait pas de temps pour autre chose... Il n'en était rien : Hestivale ne pensait pas. Et elle n'aurait pas pu devenir moins intelligente qu'elle ne l'était. Aussi, couper du bois était devenu une habitude, la seule chose qu'elle était capable de faire sans y penser. Et cela lui plaisait.
Malheureusement pour la fin de cette histoire, qui aurait pu trouver sa place tranquillement, au fond d'une forêt, les bonnes fées qui s'étaient penchées sur son berceau lui avaient donné une beauté exceptionnelle, pour se faire pardonner d'avoir oublié son cerveau. Les jeunes mâles des environs commencèrent donc très tôt à tourner autour d'Hestivale.
Comme elle ne comprenait pas ce qu'ils lui disaient, et que sa seule habitude était de couper du bois du lever du soleil à la tombée de la nuit, elle ne leur répondait jamais. Mais quelques uns prirent ses silences pour une approbation et tentèrent de la détourner de son labeur au profit d'une activité dirons-nous moins honnête...
Or, l'infatigable Hestivale poursuivait sa tâche, et les va-et-vient de sa hache rencontrèrent quelquefois les membres de ses soupirants. L'un y perdit un bras, l'autre une jambe, tous crurent que la belle avait perdu la tête et bientôt elle devint le désespoir de ses parents : plus aucun homme ne voulait l'approcher.
Comme il allait pourtant bien falloir la marier un jour, sa mère fit appel à un puissant forgemage pour tenter de résoudre le problème. Moyennant une forte somme d'argent, il lui fabriqua une épée qui, disait-il, la rendrait intelligente, suffisamment au moins pour ne plus découper ses congénères en morceaux.
Le lendemain, sa mère mit l'épée à la place habituelle de la hache. Hestivale se leva, s'habilla, empoigna l'épée au lieu de sa hache et se dirigea vers la forêt comme tous les matins.
Mais plus elle avançait, plus elle constatait avec étonnement que tout autour d'elle avaient changé. Elle comprenait des choses qu'elle n'aurait jamais soupçonnées auparavant, savait la réponse à des questions qu'elle ne s'était jamais posées. Et tout cela s'embrouilla tellement dans son esprit qu'une fois arrivée à l'endroit où elle allait d'habitude couper du bois, elle fut prise d'un violent mal de crâne et se coucha au pied d'un arbre pour dormir un peu.
Ce jour-là, elle ne coupa pas de bois. Ses parents ne s'inquiétèrent pas outre mesure, supposant qu'il lui fallait le temps de s'adapter à son épée.
Mais la scène se répéta les jours suivants.
Et un jour, elle osa même leur demander en rentrant le soir en quoi il était si utile et si important qu'elle continue à aller dans la forêt tous les jours alors qu'elle n'y faisait rien.
"Notre fille est devenue une intellectuelle !" se dirent ses parents. Et ils la chassèrent, n'éprouvant plus que mépris pour elle.
La pauvre Hestivale empoigna son épée d'une main, sa hache de l'autre, et partit sur les routes d'Amakna...