Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il faisait une chaleur à en étouffer plus d’un ce jour-là… Parmi le lot se trouvait une Sheza, assise, au beau milieu de ses quartiers en tailleur sur un parquet qu’elle espérait froid, l’air faussement boudeur et les bras résolument croisés comme si, en ne bougeant pas, elle aurait plus de chances d’échapper à « l’étreinte empoisonnée » que lui imposait le Soleil et sa bonne humeur, ses rayons ne se faisant pas prier pour éclairer chaque parcelle de la Caravane, faisant même chanter quelques insectes, un bruit incessant qui commençait à lui donner des frissons à la longue.
Une idée lui traversa l’esprit aussi vite qu’un éclair pouvait zébrer le ciel, et un petit sourire étira ses lèvres imprégné de malice… mais il disparut aussitôt. La Caravane était silencieuse, le félin ne devait sûrement pas être là et Sheza n’aurait pas voulu le déranger si jamais il était occupé. Pourtant, lui parler aurait éloigné bien des maux. La jeune femme se releva nonchalamment et se dirigea vers la porte, s’arrêta sur le seuil et poussa la porte de son index et majeur, ayant comme peur de sortir de sa seule cachette, et en voyant la clarté brûlante venir lui chatouiller les pieds, elle poussa un grognement. Reculant doucement, elle abandonna la porte laissée ouverte et se dirigea vers une petite table non-loin, vérifia si la brique de Lailait dessus était toujours remplie et… puis en fait, non, plus une goûte.
En fait, elle en aurait presque invoqué un Dragonnet. Peut-être pas mais… enfin, quoi qu’il en soit, elle se redirigea vers la porte et traversa le seuil, les poings serrés et les sourcils froncés. Elle devait rejoindre la Taverne de l’Ordre, récupérer deux ou trois briques de Lailait, puis revenir, se rafraîchir avec et… essayer de piquer un somme. L’idée la tentait pas mal, elle n’avait jamais essayé en se fiant à ses souvenirs.
Arrivée à destination, elle fit vite de rejoindre le bar en trottant presque, et commença à chercher là, jusqu’à ce qu’une voix à présent familière l’interpelle.
- Sheza ? Qu’est-ce qui se passe ?
La concernée releva aussitôt la tête, cligna des yeux avant de se rendre compte que sa locutrice était juste devant elle, accoudée au comptoir dans lequel elle-même cherchait à boire, et eut un petit sourire gêné.
- Oh, excuses-moi Nuda, je… j’avais la tête dans les nuages…, essayant de masquer sa gêne le plus possible.
L’Ecaflipette la considéra avec un petit sourire étrangement compréhensif pour quelqu’un de réservé et lui proposa une place à côté d’elle.
- J’ai trouvé un krut… un truc, mieux que le lailait… C’est un Oh… Ho… Hiop… Iop qui me l’a prosopé… proposé.
Sheza fronça les sourcils, l’air grave.
- Nuda ?, au ton de sa voix on pouvait deviner son inquiétude, et surtout, sa perplexité, tu n’as pas trop bu ?
- Mais z’pas d’l’alcool j’te dis… Pis j’suis pas assez folle pour boire, tu m’connais, c’est jutse… juzte… JUSTE l’phorie… le phorie… l’euphorie !, bredouilla la plus âgée.
L’Osamodette cligna des paupières encore une fois mais, malgré tout, accepta sa proposition et s’assit à côté d’elle, déjà, la chaleur se faisait moins étouffante en s’occupant. Après un long silence, la féline poussa un nouveau verre vers Sheza.
- Allez, essaye, j’te promets z’pas de… du poisson… du poiZon… du poison, ouais, z’pas ça…
Cette fois-ci, la jeune femme plongea son nez dans la coupe et plissa les yeux. D’accord, elle voulait bien la croire sur ce coup-là, ce n’était peut-être pas de l’alcool, de toute façon, elle voyait mal Nuda se vanter d’avoir bu, elle qui est si sévère sur l’éducation, elle qui a élevé tant et tant d’enfants en leur disant « Non, ce n’est pas bien, ça fait juste tourner la tête. »… Elle devrait essayer avec de petits Pandawa, tiens.
Un coup pour le moins violent sur son dos la sortit immédiatement de ses pensées.
- Baaaah, alleeez, bois ! T’veux que j’t’aime ? Euh… J’t’aide…, elle fronça les sourcils, prit un air pensif, mine de vérifier la sûreté de ses dires, et continua, Ouais, c’est ça, j’t’aide !
- NON, non, c’est bon, attends… , elle avait presque crié, voir l’Ecaflipette se comporter de la sorte n’était pas du tout rassurant, et un peu à contrecœur, elle avala le liquide d’une traite.
Après quelques secondes à cligner des yeux de façon niaise, elle murmura : « Oh mais… t’as raison, c’est bon… », et entendit aussitôt le rire cristallin de son amie résonner dans la pièce, engageant, et lui crier un « Haha, j’le saaavais, y’en a ‘core, ‘ta une z’conde… »
Inutile de décrire la scène qui suivit, c’est donc maintenant avec une Sheza complètement… sous les effets secondaires de la boisson, que nous allons continuer, elle entendit d'ailleurs Nuda marmonner quelques phrases incompréhensibles à première vue, mais qui, dans la tête de l’Osamodette, prenaient une signification tout aussi nouvelle qu’agréable.
- Ah ouais ? Frigosse ?
- Mais nan, babane… banane, rectifia Nuda, c’est Frigosse !
- Ah… Frigost, ouais…, dit-elle, en hochant la tête.
Elles se turent encore pendant un instant jusqu’à ce que le poing de l’Ecaflipette ne rejoigne le comptoir. Sheza écarquilla les yeux et releva son regard vers Nuda, à présent debout, stoïque.
- Bah quoi ?
- J’sais… ‘Faut qu’on ennème… emmène touuuus les Chevaliers à Frigosse ! Comme… Comme ça, on s’baigne là-bas… et… et on a plus sot ! Euh… Chaud…
La jeune femme accueillit l’idée avec un cerveau complètement retourné par la situation, puis acquiesça en levant le poing, dans un geste victorieux.
- On a qu’à leur crier une lettre !
C’est donc, quelques minutes plus tard, qu’on les trouva allongées par terre, s’appliquant sur un même parchemin, à essayer de tracer des phrases lisibles… Enfin, Sheza surtout, Nuda, elle, s’occupant de faire de l’ambiance, encourageant la plus jeune à coup de « Vi, ma fille ! Zas-vy… Vas-y ! Cries tout ça ! ».
Le résultat… fut le suivant.
« Chers Chevaliers,
Trouvez pas qu’il fait trop chaud, vous ? Nan ? Bah nous, si, en fait… Et vous avez sûrement entendu parler de Frigost, le nouveau continent, toutes ces choses-là… Vous ne pensez pas qu’on devrait aller y faire un tour avec des maillots histoire de dire au revoir au Soleil ? Nan, sérieux, je le trouve encombrant, moi… Etouffant !
(Quelques phrases étaient barrées, et on entendit Nuda crier « Ouais, ça c’est pour dire qu’il y’avait un silence… »)
A minuit en plus, ce serait trop génial ! Mais ça… ça va être comme le défi lancé par Mère-Nature à chaque début de combat. Y’a que les courageux pour le faire.
Alors ? On le fait ? »
Pas de signature, rien, et à deux, elles essayèrent de faire le moins de fautes possible. Après tout, elles s’adressaient quand même aux Chevaliers. Et lorsqu’elles s’apprêtèrent à quitter la Taverne, une petite Tifoux, qui avait suivi sa maîtresse jusque là, pénétra dans la salle et alla décrocher le papier qu’elle mâchouilla, exaspération et colère confondues, puis jeta au loin, en petits morceaux. Non mais n’importe quoi, après les gens se plaignent des familiers…