Débarquement

Avec fracas, mon corps rebondit sur les pavés irréguliers et froids.

Une pâle lune s’y reflète, dans l’humidité de cette nuit. Je reste étendue sur le sol, contemplant les couleurs irisées qui se fraient un chemin parmi les décombres de poissons et dansent sur ce sol si souvent foulé.
Retour au pont de départ. Port de Madrestam, après deux années passées à se faire dorer la pilule ici et là. Ma peau jadis laiteuse avait cédé la place à un teint buriné par ce farniente perpétuel au milieu des océans.

« Hors de ma longue vue ! Traînée, saltimbanque de bas étage, voleuse de pacotille… »

C’était la dernière ligne de croisière que je pouvais encore exploiter, étant l’un des rares plaisanciers ne m’ayant pas, encore, surprise, main dans la manche d’autrui ou oreille à la porte.

Mes talents de conteuse et de chanteuse n’ayant jamais été considérés à leur hauteur, j’usais désormais de toutes petites petites arnaques et commettais de minusculesnuscules larcins pour tenter de survivre de pain sec. Quoi de plus normal !
Je dirais même que je rendais service, à délester ceux, qui, déjà débordant d’opulence, voguent encore, plein d’appétit, pour aller se vautrer dans un amas de cadeaux ou piller des trésors enfouis! Sérieusement, lorsque l’on a tout, où peut-on bien le mettre ?

« Reprends tes instruments miteux et tes fringues affreuses, tes arcs poussiéreux et tes grigris d’itinérante, crétine…et tu as de la chance que je te débarque avec une seule tannée pour correction…. détrousseuse, coquine, bonne à rien…»

Le bruit de chute de mes effets ponctue les propos d’un type qui est, indéniablement, dénué de goût esthétique et de la notion de partage qui m’anime. Voilà comment on est remercié du bonheur qu’on tente d’apporter aux autres !

Peu à peu, son flot d’injures se perd doucement dans la moiteur environnante alors que le navire s’enfonce au loin, jusqu’à être absorbé totalement par la noirceur de la mer…..

Je me relève doucement et ajuste ma jupe, me drapant d’ignorance vis-à-vis des quelques badauds en quête de larcins ou de cette poignée de filles arpentant le pavé.

J’entreprends alors de rassembler mes armes effectivement inutilisées depuis très longtemps. C’est vrai, je n’ai jamais eu le goût du combat et ce, encore moins lorsque je n’ai pas la possibilité de me réfugier derrière quelqu’un de plus gaillard.

Ces armes, mes camarades cinglés de l’époque m’en avaient affublée : un marteau aussi lourd que les vannes de Bucho, une cape au tissu aussi fin que les sarcasmes de Khong , un anneau aussi luisant que les lames affûtées d’Uta, une dinde au caractère aussi trempé que celui de Blackinette, des flèches aussi piquantes que la prose de Fritte... Tous m’accompagnant avec entrain dans le schizophrénique délire de la maîtrise des éléments eau et feu. Alors que je ne maîtrise déjà pas les propos sortants de ma bouche...

On s’était bien marré ; surtout eux d’ailleurs, à déverser de l’alcool sur mes plaies suintantes, suites aux griffures de firefoux ; à me placer en première ligne lors des combats sanguinaires ; à me contraindre à l’infiltration des clans utilisateurs de percepteurs.
Un sourire me vient aux lèvres, mais, rapidement, je secoue la tête pour chasser toute nostalgie inutile et poursuis ma tâche.

Un peu plus loin, ma trouvaille me ravit ! Un superbe collector ! Un string en cuir de porkass dédicacé par Samus, dite Dame à la grande bouche, ainsi qu’un bikini emprunté à Khaalya sans son consentement après l’élection des Miss. Des lustres que je n’ai pas vu Khaalya, peut-être même depuis son mariage avec Belomen…Le trop gentil Belomen qui avait troqué son pelage de minou contre celui d’un félin redoutable aux dernières nouvelles… peut-être y étais-je un peu pour quelque chose ? Il ne m’en avait jamais remerciée en tous cas…

Et puis là, un sac cawotte rapiécé renfermant un vieux numéro de l’Empreinte du Craqueleur. Tuk-Teufti, les Moyocoyas...

Une brusque ravale de vent m’arrache à ces pensées et fait rouler à mes pieds une des boules de voyance de Vodka, le savant fou à la recherche de 18 millions de kamas.
Je la saisis et le contact avec l’objet rond et doux est réconfortant.
Je plonge mes yeux au plus profond de la sphère translucide, comme absorbée par sa matière.