Une fois n’est pas coutume, Englael avait passé la journée à sillonner Pandala, à la recherche d’un spécimen rare de Cooleuvre. Il avait fouillé chaque buisson, regardé au pied de chaque Bambouto, en vain. Ses pérégrinations l’avaient même conduit jusqu’à l’île de Grobe, où il avait fait des rencontres un peu moins sympathiques, pour ne pas dire plus acerbes. Il avait tout de même réussi à s’en dépêtrer, moyennant de grosses ecchymoses et une vilaine plaie à l’aile, une de plus… En proie à une profonde lassitude, et le corps endolori de toutes part, il rentra à Madrestam d’un pas lent et peu assuré. Il s’assit à même le sol, adossé à un tonneau, face à la mer, et observa calmement le soleil terminer sa course et disparaître derrière l’horizon. Puis il erra quelques heures encore sur le vieux port, traînant les pieds, respirant néanmoins à pleins poumons l’air marin. Il aurait pu rester dehors toute la nuit, comme il en avait l’habitude, mais le froid eut raison de lui et, le pénétrant jusqu’aux os, le poussa à rentrer au chaud.
Il poussa donc nonchalamment la porte de la taverne de l’Ordre, déjà déserte à cette heure pourtant peu avancée de la nuit. Mais l’Eniripsa ne porta guère attention à l’absence d’animation dans les lieux, tout ce dont il rêvait à cet instant, c’était de retrouver la chaleur de son lit, et sombrer dans un sommeil réparateur jusqu’au lendemain, surlendemain d’il le fallait. Un sommeil réparateur... Voilà bien des mois qu’il n’en avait pas bénéficié…
Lorsqu’il passa devant le mur réservé aux affichages divers, il observa qu’un nouveau parchemin y avait été accroché. Il y jeta un bref regard et constata qu’il lui était adressé, ainsi qu’à Meawrh. Bien décidé à le lire attentivement, il le décrocha, s’arrêta au comptoir le temps de se servir un verre de Glouto Rhum et alla s’asseoir près de l’âtre où rougeoyaient encore quelques braises.
Il lu et relut la missive plusieurs fois, non pas que son contenu soit difficile à comprendre, mais les heures passées à l’extérieur avaient éreinté l’Eniripsa, et il puisait dans ses dernières forces pour déchiffrer les cunéiformes tracées sur le parchemin. Il marqua ensuite une pause et but son Glouto Rhum à petites gorgées. Puis il se leva et partit à la recherche d’une plume et d’un flacon d’encre. Quelqu’un avait bien dû en laisser traîner quelque part. Ayant parcouru la taverne de long en large sans trouver son bonheur, il poussa la porte du bureau de recrutement et aperçut, sur la table, une petite fiole sombre.
- Bon, de l’encre, c’est déjà pas mal…
Mais pas la moindre plume à l’horizon. Il finit par baisser les yeux sur Kiouty, le Pioute qu’il avait en garde depuis quelques temps, et poussa un soupir las.
- Désolé bonhomme… C’est pour la bonne cause.
Il s’accroupit et, donnant quelques graines de sésame au volatile avec une main, arracha avec l’autre, d’un geste vif, une plume carmin. Le petit animal poussa un piaillement strident et, ayant donné un violent coup de bec à la main qui le nourrissait, s’enfuit se dissimuler sous l’escalier. L’Eniripsa contempla quelques secondes le sang perler sur ses doigts pâles et eut un petit sourire.
- J’en connais une qui me tirerait les oreilles…
Il retourna près du feu et commença à griffonner sur le parchemin, à la suite du texte déjà écrit.
Cher Sacrida,
Ca serait un réel honneur que d’être ton parrain, et c’est une mission que j’accepte avec plaisir et une certaine fierté. Mais attention, tu as intérêt à te tenir à carreau !
Amicalement,
Englael.
Il reposa sa plume et souffla sur les quelques lignes qu’il venait de tracer. Il n’avait jamais été un grand écrivain, mais là il avait presque honte d’avoir été si bref. Il se consola en se disant qu’il ne restait plus beaucoup de place sur le parchemin, et que Mea aussi allait devoir y apposer son accord. Il se releva et retourna épingler le message sur le mur. En repassant devant le bar, il embarqua la bouteille de Glouto Rhum et retrouva sa place au coin du feu. Il remplit à nouveau son verre et, tandis que son regard se perdait dans la contemplation des flammes dans la cheminée, son esprit plongea lentement dans une douce nostalgie. Il était reparti bien des années en arrière, à l’époque où il combattait sous les couleurs de Kingdom of Symphonia. Kingdom of Symphonia, où il avait rencontré celles et ceux qui étaient aujourd’hui les plus chers à son cœur : Sheza, Sylvangell, Sacrida et, bien sûr, Daisi ; Kingdom of Symphonia, qui lui avait redonné le goût de l’aventure. Kingdom of Symphonia, dont il ne restait désormais que des souvenirs, et un petit blason brodé qu’il conservait toujours sur lui, comme un témoin d’une époque heureuse mais tristement révolue…